LE METRO

Le métro

Soit une rame de métro parisien. Elle compte cinq wagons. Chaque wagon compte douze banquettes de deux places, soit vingt quatre places assises en période d’affluence (où l’usage des strapontins est interdit). Sur ces vingt-quatre places, douze sont dans le sens de la marche et six sont à la fois dans le sens de la marche et collées à la fenêtre. Ces six places sont les meilleures puisqu’elles offrent au passager la possibilité d’être dans le sens de la marche tout en s’appuyant à la fenêtre. Sur un carré formé par deux banquettes en vis-à-vis, cette place, dans le sens de la marche, contre la fenêtre, est  »la place numéro un ».

Une fois cette place occupée, il reste trois places. L’une, dos à la marche et près du couloir n’offre aucun des agréments de la  »place numéro un » : ni sens de la marche, ni appui à la fenêtre. C’est la moins bonne place du carré, on l’appellera  »la dernière place ». Mais sur les deux places restantes, l’une est dans le sens de la marche mais sans appui à la fenêtre, l’autre dos à la marche mais permettant de s’appuyer à la fenêtre. On appellera ces deux places,  »les places classe moyenne » parce que chacun peut supposer – l’un dos à la marche mais appuyé à la vitre, l’autre sans appui mais dans le sens de la marche – qu’il occupe lui-même la deuxième place, qu’il est le numéro deux dans l’ordre des places et que c’est l’autre, assis en face, à l’opposé, qui occupe la troisième et avant-dernière place.

    En ces périodes de trouble et de remise en question des rapports sociaux, la relative indifférence qui règne entre les voyageurs dans les transports en commun est une chance. Il faut la préserver. Il est important de maintenir le deuxième et le troisième voyageur dans l’illusion que chacun occupe la deuxième place, pour ne pas risquer de voir se désagréger le peu de tranquillité qui règne encore entre les voyageurs. Sans quoi, pourquoi laisser faire le hasard dans l’attribution des sièges ? Pourquoi dans une perspective égalitariste, ne pas redistribuer les places à chaque station, le premier prenant la deuxième place, le troisième la quatrième et le dernier la première et ainsi de suite tout au long du voyage ? Mais que faire lorsqu’un des voyageurs quitte le carré et qu’il est remplacé par un nouveau passager ? Attribuer d’office au nouveau venu la quatrième place, pendant que tous les autres remonteraient d’une place ? Lui laisser reprendre la place du dernier sorti du carré ?

    Au nom de la tranquillité de tous, n’ouvrons pas la boite de Pandore, tous les débats ne méritent pas d’être menés et préférons maintenir le flou quant à la hiérarchie entre les places intermédiaires dans les transports en commun.